La science par et pour les femmes :
entrevue avec la Dre Isabelle Boucoiran
Dans cette entrevue menée en marge de la Journée internationale des femmes et des filles de science, la Dre Isabelle Boucoiran, chercheuse et clinicienne, aborde les influences qui l’ont guidée dans son parcours et les défis auxquels elle a fait face. Elle partage les travaux qu’elle mène avec son équipe et révèle certains développements émergents en santé des femmes. Finalement, elle souligne l'importance de soutenir la recherche dans le domaine.
Parlez-nous de votre parcours.
I.B. : J’ai réalisé la première partie de mes études de médecine dans les Universités de Montpellier et de Nice, en France. J’ai ensuite suivi des stages de perfectionnement (fellowships) en médecine fœto-maternelle à l’Université de Montréal, puis en maladies infectieuses de la reproduction à l'Université de la Colombie-Britannique. J’ai aussi complété une maîtrise en recherche clinique.
Avec les Drs Soren Gantt, Fatima Kakkar et le chercheur Hugo Soudeyns, je dirige présentement le Centre d'infectiologie mère-enfant (CIME). Je suis aussi professeure agrégée de clinique à l'Université de Montréal. J’exerce comme clinicienne-chercheuse dans le département d'obstétrique et de gynécologie du CHU Sainte-Justine et à l'École de santé publique de l'Université de Montréal.
Y a-t-il des personnes qui ont influencé votre parcours
I.B. : Durant mon fellowship à Vancouver, j’ai eu la chance d’être supervisée par Deborah Money, une imminente obstétricienne, gynécologue et chercheuse. C’est à son contact que j’ai vu qu’on pouvait mener de front deux, et même trois carrières : celle de clinicienne, celle de chercheuse et celle de mère. Elle a été une inspiration majeure pour moi!
Quels ont été les défis auxquels vous avez dû faire face?
I.B. : Une grande difficulté a été, et est toujours, de concilier la clinique et la recherche. Pour ce faire, je dois parvenir à réserver un temps protégé pour poursuivre mes travaux de recherche. Ça implique d’obtenir un financement adéquat. Un défi constant!
Y a-t-il des obstacles spécifiques auxquels les femmes de science sont confrontées?
I.B. : Je trouve important de souligner que le Québec est très avancé en matière d'égalité homme-femme, c’est d’ailleurs la principale raison qui m'a fait rester au Québec. Ici on peut être une femme, avoir une carrière académique et avoir une vie de famille. On peut assumer ça!
Il demeure quand même des défis persistants, notamment en termes de conciliation travail-famille et de représentation dans les postes de direction.
Les femmes et les filles doivent apprendre à nommer les difficultés qu’elles rencontrent, ne pas avoir peur d’imposer leurs limites, qu’il s’agisse de l’équilibre entre la carrière et la famille ou des exigences liées aux études. Les étudiantes et les étudiants sont souvent très exigeants envers eux-mêmes. Les échecs font partie de l’apprentissage. Il faut apprendre à composer avec les revers, s’accrocher!
Y a-t-il des pistes pour faciliter le parcours des femmes et des filles en science?
I.B. : On observe déjà des changements dans les mentalités, par exemple en médecine et en recherche où les femmes sont de plus en plus présentes. Pour poursuivre en ce sens, je crois que le mentorat est une voie très porteuse : les étudiantes que je supervise, comme mentor, peuvent constater que moi aussi j’ai des limites, que j’ai également des défis à relever mais que je ne baisse jamais les bras.
En tant que femme, médecin et scientifique, comment entrevoyez-vous les développements en santé des femmes?
I.B. : Je suis très encouragée quand je constate les avancées qui ont été faites dans le domaine de la santé fœtomaternelle, notamment dans la transmission du VIH de la mère à l’enfant. Nous travaillons aussi sur le dépistage du cytomégalovirus, une infection fréquente qui peut générer des atteintes graves chez le bébé, mais qui reste encore méconnue du grand public. Finalement, d’importants développements sont réalisés en matière de vaccination durant la grossesse. Nous en viendrons éventuellement à un programme global de vaccination pour prévenir certaines infections chez les nouveau-nés. C’est positif et encourageant de voir que la vaccination en grossesse est majoritairement adoptée : les mères font tout ce qu’elles peuvent pour protéger leur bébé, d’ailleurs beaucoup plus que pour leur propre santé.
Estimez-vous qu’on investît suffisamment en santé des femmes?
I.B. : C’est difficile de défendre l’importance d’investir dans le domaine parce que les étapes qui jalonnent le parcours des femmes ne sont pas des pathologies, mais elles ont un impact significatif sur leur bien-être global et celui de leurs enfants. Par exemple, le cycle menstruel, la grossesse, l’accouchement ne sont pas des maladies, mais ils sont déterminants dans la vie d’une femme et de ses enfants. L’égalité implique que l’on fasse des recherches, de la prévention et de la sensibilisation au bien-être des femmes, et ce pour toutes les étapes de leur vie. Nos travaux peuvent les aider à mieux vivre leur réalité, ce qui a un impact direct sur la génération suivante.
Sur la photo ci-haut : la Dre Isabelle Boucoiran (en bas, deuxième à gauche) avec des membres de l'équipe du Centre d'infectiologie mère-enfant, soit Ariane Larouche, Dr Soren Gantt, Amine Remita, Hasna Meddour, Michel Giroux, Niki Abdollahi, Elise Gonfond, Nina Theresa Dungca, Jing Hu, Kerusha Govender et Florian Corso. © CHU Sainte-Justine (Véronique Lavoie)