
Le 4 décembre 1985 naissait prématurément mon fils Julien et ce fût un choc pour moi, d’autant qu’une semaine avant, mon médecin m’avait annoncé que j’avais une grossesse idéale.
N’étant pas préparée à l’univers « apocalyptique » des soins intensifs et au fait d’avoir un bébé en détresse, je m’accrochais au cri de vie que Julien avait lancé lors de son expulsion pour me convaincre de son désir de vivre.
Les deux premières semaines après la naissance de Julien furent éprouvantes, aux limites de la douleur, car je voyais le personnel médical s’affairer autour de lui, sans me donner de réel avis sur ses chances de survie.
Malgré tout, son père et moi nous nous sommes accrochés de toutes nos forces et j’étais présente constamment aux côtés de Julien pour lui transmettre tout mon amour. L’ironie du sort est que nous avons pu retourner à la maison, avec Julien, à sa date prévue de sa naissance soit le 19 février 1986.
Tout comme vous, aujourd’hui, j’ai lu et relu les témoignages qui m’ont soutenue dans les moments les plus difficiles et je remercie les médecins et les infirmières de leur humanité et de leur professionnalisme.

Chaque soir avant sa naissance, je plaçais ma main sur le ventre de sa mère. J’approchais ma bouche de son nombril qui me servait de canal direct avec le petit monde de Julien et je lui disais à quel point j’avais hâte de le voir et de le serrer dans mes bras.
L’appel du monde extérieur a été si fort pour lui qu’il a décidé de sortir près de trois mois avant terme. Les contractions du 2 décembre, deux jours avant ce qui allait devenir le grand jour, n’étaient pas un « exercice de feu » : il était bel et bien sur le point de naître. Je me rappelle le moment de sa naissance avec précision : 12h21.
Quel cri tu as déployé lors de ta venue au monde ! C’est alors que tu es officiellement né… et que je suis devenu papa pour la première fois. Tu étais minuscule, sans gras et tout rouge. Tu as passé des moments difficiles et douloureux. Il était difficile de te voir plisser les yeux, grimacer et pleurer de manière inaudible parce que tu avais des tuyaux dans le nez lorsqu’on effectuait des prélèvements de sang.
Nous savions par contre que tu allais tirer de ces premières semaines de vie des forces et une sagesse qui te serviraient tout au long de ton existence. Car oui, nous avions bon espoir que tu survivrais, même si le risque de te voir disparaître était réel.
De mon côté, j’ai appris beaucoup grâce à toi. Pour paraphraser Simone de Beauvoir : on ne naît pas papa, on le devient.

Né à 28 semaines et six jours, ne pesant que 1260 g, j’étais plus que pressé de vouloir vivre ma vie, le 4 décembre 1985. Pourtant, j’étais censé naître deux mois et demi plus tard, le 19 février 1986, le jour même de l’anniversaire de naissance de mon père.
J’imagine que je voulais lui offrir un cadeau à l’avance et lui montrer que j’étais là, malgré tout. Je dis « malgré tout », car j’avais un tout autre défi devant moi si je voulais survivre et lui chanter « bonne fête » le jour venu. J’ai pleuré très fort pour m’accrocher à la vie malgré mes poumons morts et je me suis battu pour survivre.
J’ai surmonté un pneumothorax, deux chirurgies liées à une hernie inguinale, mes dix premiers jours aux soins intensifs et un repos de deux mois et demi à l’hôpital Sainte-Justine.
Le repos du lionceau qui a fini par s’éveiller en force. Aujourd’hui, cette force m’a amené à voyager et découvrir le monde. J’ai respiré sur deux continents, visité plusieurs pays et je ne crains pas les défis. Le 29 avril 2018, je suis devenu papa à mon tour. Il s’appelle Emilio.
Ses parents sont de deux cultures différentes : sa mère est mexicaine et je suis canadien. Je lui dis, en espagnol : bonne fête, mon fils bienaimé ; c’est formidable d’être papa !